MADAGASCAR FACE AUX DÉFIS DE LA TRANSITION
CLIMATIQUE ET ÉCOLOGIQUE: QUEL(S) MODÈLE(S)
DE DÉVELOPPEMENT À METTRE EN ŒUVRE ?
5
Janvier - Février - Mars - 2018
En 2020, Madagascar va fêter ses 60 ans d’indépendance.
Durant ces 60 années d’indépendance, tous les dirigeants
successifs ont essayé des politiques et des modèles de
développement pour le pays. Malheureusement, le pays
n’est pas sorti de sa situation de sous-développé voire
même il s’est appauvri. Le cycle de Rostow ne s'est pas
réalisé car aujourd’hui le pays aurait pu être au moins au
stade de « Take off » (décollage ou émergence) voire à la
« phase de maturité » depuis les années 2000. Le pays est
encore au stade de subsistance avec ses caractéristiques
(pénuries alimentaires de base et famine dans certaines
régions, fléau de maladies comme le paludisme, la peste,
le choléra,…) alors qu’on annonce une croissance
économique de 4 à 5 % pour 2018. Et on prévoit seulement
vers 2030, le stade de « Take off » (Fisandratana ou
Emergence de Madagascar). Il est donc temps de réagir et
d’agir vite car c’est intolérable d’observer une minorité qui
profite des richesses nationales et une majorité qui en sont
exclues et vivent dans la pauvreté totale.
Madagascar a besoin d’urgence de nouveaux modèles de
développements. Les anciens modèles prônés jusqu’ici
pour les pays du Sud par les pays du Nord ne sont plus
efficients, d’autant plus que les défis de la transition
climatique et écologique les obligent à mettre en œuvre de
nouvelles politiques économiques et sociales et de
nouveaux modes de gouvernance pour construire une
société respectueuse de la nature et de la personne
humaine ayant soif de liberté, de solidarité et de bien-être.
Le 25 septembre 2015, en adoptant le Programme 2030
pour le développement durable, les dirigeants du monde
ont décidé d'affranchir l’humanité de la pauvreté,
d'assurer la bonne santé de la planète pour les générations
futures, et de construire des sociétés pacifiques, ouvertes à
tous pour permettre à chacun de vivre dans la dignité,
l’Organisation des Nations Unis a établi un Programme de
développement durable à l'horizon 2030 qui vise à
améliorer la vie et les perspectives d'avenir de tous,
partout dans le monde. En effet, le développement
durable et inclusif est à la fois un objectif en soi et la
meilleure forme de prévention pour tout le monde. Ce
programme 2030 est assigné de 17 objectifs.
Pour Madagascar, parmi ces 17 objectifs, nous relevons 8
objectifs principaux qu’on peut répartir en deux catégories
selon l’urgence et qui doivent être réalisés d’ici à 2030 :
La première catégorie se compose de quatre
objectifs fondamentaux :
Objectif 1 : Éliminer la faim, assurer la sécurité
alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir
l’agriculture durable (
Objectif n°2 du rapport 2017
)
Objectif 2 : Permettre à tous de vivre en bonne santé et
promouvoir le bien-être de tous à tout âge (
Objectif n°3 du
rapport 2017
)
Objectif 3 : Assurer l’accès de tous à une éducation de
qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les
possibilités d’apprentissage tout au long de la vie
(
Objectif n°4 du rapport 2017
)
Objectif 4 : Garantir l’accès de tous à l’eau et à
l’assainissement et assurer une gestion durable des
ressources en eau (
Objectif n°6 du rapport 2017
)
La deuxième catégorie concerne quatre
objectifs complémentaires:
Objectif 5 : Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes
et partout dans le monde (
Objectif n°1 du rapport 2017
)
Objectif 6 : Garantir l’accès de tous à des services
énergétiques fiables, durables et modernes à un coût
abordable (
Objectif n°7 du rapport 2017
)
Objectif 7 : Promouvoir une croissance économique
soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif
et un travail décent pour tous (
Objectif n°8 du rapport 2017
)
Objectif 15 : Préserver et restaurer les écosystèmes
terrestres, en veillant.
à les exploiter de façon durable, gérer durablement les
forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser
le processus de dégradation des terres et mettre fin à
l’appauvrissement de la biodiversité (
Objectif n°15 du
rapport 2017
).
Alors quel(s) modèle(s) de développement à mettre en
œuvre :
Sans hésitation, Madagascar, membre des Nations Unies,
adopte le modèle de développement durable. De quoi
s’agit-il ?
Le Rapport Brundtland définit le concept ainsi: « Le
développement durable est un mode de développement
qui répond aux besoins du présent sans compromettre la
capacité des générations futures de répondre aux leurs.
Deux concepts sont inhérents à cette notion :
Le concept de « besoins », et plus particulièrement des
besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient
d’accorder la plus grande priorité ;
L’idée des limitations que l’état de nos techniques et de
notre organisation sociale impose sur la capacité de
l’environnement à répondre aux besoins actuels et à
venir. »
L’objectif essentiel est de pratiquer un modèle de
croissance « verte » et équilibrée mais aussi de
déconnecter le développement de sa logique marchande
(produire en masse pour les marchés et satisfaire la
consommation en masse) et le rapprocher des besoins.
Alors, dans le cas de Madagascar, comment mettre en
œuvre ce nouveau modèle de développement « soutenable
dans la durée » qui exige à la fois une forte croissance avec
un « contenu vert » et un progrès dans la réalisation
progressive des objectifs assignés ci-dessus ?
Nous proposons des modèles de développement de type
capitaliste coopératif à visage humain et multipôlaires qui
ont pour objet de combiner un modèle où l’Etat a une
place de moteur du développement (selon les théories du
rattrapage) et un modèle où les populations sont à la fois
acteurs et bénéficiaires (d’après les théories du
développement par le bas) pour inventer une autre
prospérité soutenable dans la durée, respectueuse de
l’environnement et juste. Ces modèles seront au service de
l’homme et de son épanouissement intégral, source de son
bien-être, et respectent d’une part son environnement
naturel et socioculturel, et d’autre part, favoriseront la
solidarité intergénérationnelle et trans-générationnelle.
Les deux acteurs principaux de ces modèles sont donc la
population locale et l’Etat dont les rôles respectifs doivent
concourir à la gestion des biens communs : la terre, le
travail et la monnaie.
Le premier acteur du développement est la population
locale
(d’un territoire composé de groupe de districts ou
de régions). Cette population locale est composée
d’acteurs divers – ménages, associations, entreprises,
artisans, ONG, administration ou collectivités, Zône
Economique Spécialisée et participe à des pôles
économiques (riziculture, élevage, pêche, industrie ou
artisanat,…) ou à des projets de valorisation de son
territoire (tourisme, ressources naturelles, manifestations
culturelles et sportives, formations…). En ce qui concerne
les ressources minières qui se trouvent sur son territoire, la
population locale a le droit de contrôle de ces extractions
et de profiter une part conséquente des mannes
financières y afférentes.
Voici quelques exemples de pôles de développement
territoriaux :
Les pôles rizicoles de les régions d’Alaotra ou du Ménabe,
Le pôle DIANA-SAVA avec des potentialités stratégiques
dans le Nord de Madagascar (tourisme, énergie
renouvelable, agrobusiness, production de vanille,…),
Le pôle de production de légumes et de lait dans les
régions du Vakinankaratra et de l’Itasy,
Les pôles de production halieutiques et de la pêche dans
les régions côtières,
Les pôles de production d’huiles essentielles, de l’ylang
ylang de Nossi-bé,
Les pôles d’élevage (bovins, porcins, ovins, caprins)
Etc….
Le deuxième acteur est l’Etat
qui doit repenser son rôle.
L’Etat ne doit plus être gardien des contrats privés ni être
gestionnaire bureaucratique des biens publics.
Madagascar a besoin d’un Etat de droit et régalien
(gardien des droits et des conditions d’émergence des
communs dans la société civile, détenteur de ses
prérogatives dans le domaine de la sécurité des personnes
et des biens) puis d’un Etat acteur et régulateur dans le
développement économique.
Pour cela, l’Etat définit ensemble avec les territoires et les
pôles de développement les stratégies nationales et
territoriales de développement (planification, politiques
économiques et monétaires, politiques sociales - santé et
éducation -) tout en respectant le principe de subsidiarité.
C’est à l’Etat de construire les grandes infrastructures de
communication entre les territoires (routes, réseau ferré,
aéroports) et la mise en œuvre d’infrastructures
technologiques de soutien aux pôles de développement
locaux (mix énergétique, téléphonie, formations).
Enfin, c’est à l’Etat d’organiser et de structurer les
institutions financières de développement (Banques de
développement locales ou étrangères, institutions de
micro-crédit, répartition des aides et des investissements).
Pour mettre en œuvre ces modèles, une nouvelle
gouvernance fondée sur la confiance, l’éthique de
responsabilité et la démocratie participative est à mettre
en place.
Ces modèles de développement exigent une volonté
politique, un changement d’attitudes des principaux
acteurs, être sobres et non fatalistes, être homo
oeconomicus raisonnable et pratiquant le dialogue et la
coopération et surtout pas être « Homo Sakanus
Madagascariensis » (
Freddie Mahazoasy, co-président du
C2ISNM
).
Pour lutter contre la pauvreté, réduire la vulnérabilité et
améliorer les capacités de résilience, il est indispensable
d’intégrer l’adaptation au changement climatique et ses
aléas dans les politiques de développement et des plans
d’actions. Ainsi la création d’agences territoriales de
développement est nécessaire pour favoriser les visions
stratégiques de l’adaptation à l’aide d’études
préliminaires et de plans d’actions et d’investissements.
Une question se posait souvent : Madagascar refuse-t-il
le développement ?
Et le dernier ouvrage de Mireille
RAZAFINDRAKOTO, de François ROUBAUD et de Jean-
Michel WACHSBERGER essaye de chercher une
explication de «
L’énigme et le paradoxe
» malgaches :
un
déclin économique inexorable malgré une croissance
faible mais soutenue entrecoupée par des crises
sociopolitiques
. Leur recherche et décryptage sont
intéressants et pourraient aider les élites et le peuple
malgaches à se remettre en cause.
Madagascar ne refuse pas le développement
mais, après
64 ans d’accident historique dû à la colonisation, si tout
développement est culturel, alors depuis l’indépendance,
les modèles choisis et expérimentés ne s’adaptaient pas à
nos cultures et à nos valeurs.
Si dans la mise en œuvre des modèles de développement
proposés ci-dessus, les élites et le peuple pratiquent le
FIHAVANANA,
comme
ciment
social,
le
FIRAISANKINA, comme pratique de solidarité sociale, le
FAHAFAHANA, comme force motrice d’actions et de
coopération et le FAHAMARINANA comme éthique
sociale, alors il n’y aura plus ni énigme ni paradoxe
malgaches.
Lors de la messe des Anciens du Collège Saint Michel le
1
er
février 1970, le recteur de l’époque, Père François de
Torquat disait : «
Osons le dire…Le « décollage » se fera le
jour où des hommes responsables s’engageront à fond,
guidés par un sens de la justice sociale scrupuleux…un
désintéressement pour l’argent et les honneurs…qui les
rendront invulnérables
… »
Nous appelons donc tous les
malgaches, élites (y compris la
diaspora) et peuple, à se ressaisir,
à dialoguer et à prendre à bras-le-
corps notre destin collectif ainsi
que celui des générations futures.
Pierre RAZAFIMAHATRATRA