Dimanche 06 Septembre 2020
«Si ton frère ou ta sœur a commis un péché, va lui parler seul à seul»
1ère lecture : Ez 33, 7-9
2ème lecture : Rm 13, 8-10
Évangile : Mt 18, 15-20
Actualisation
Le prophète Ezéchiel nous parlait à l’instant du guetteur, c’est-à-dire de celui qui veille, aux aguets, attentif aux moindres dangers. La collectivité compte sur lui. Il est responsable de la vie des autres. S’il s’endort, s’il est négligent, ses compagnons seront menacés. Par contre s’il reste à l’affût, s’il lance l’alerte à l’approche de l’ennemi, mais qu’on ne l’écoute pas, sa responsabilité est dégagée.
Fiche de préparation
Le chapitre 18 de saint Matthieu contient le quatrième grand discours de son évangile. Après le discours sur la montagne (ch. 5 à 7), le discours missionnaire (ch. 10) et le discours en paraboles (ch. 13), nous avons maintenant le discours communautaire qui parle des relations entre les membres de la communauté chrétienne. Les experts appellent ces recommandations de Jésus «l’enseignement sur la vie communautaire». Il est bon de lire ce discours, de le méditer sous cet angle communautaire car nous faisons toujours parti d’un groupe, que ce soit dans la famille, dans la paroisse, sur le lieu de travail ou avec nos amis.
Le Christ nous dit ce matin que la communauté ne doit pas ériger de barrières définitives, elle doit toujours garder les portes ouvertes et la lumière allumée. La communauté chrétienne ne se résigne jamais à la perte définitive d’un frère ou d’une sœur. Elle se montre toujours capable d’accueillir, de pardonner, de se réconcilier, de permettre le retour de celui ou de celle qui s’est éloigné. Et il doit y avoir un air de fête lorsque la sœur ou le frère qui a quitté la famille pour aller vivre au loin réapparait à l’horizon (histoire du retour de l’enfant prodigue).
Les sociologues affirment que l’homme d’aujourd’hui est porté à un individualisme à toute épreuve : «chacun pour soi.» Dans l’évangile, le Christ condamne cette attitude et nous rappelle que nous sommes une «race communautaire». Nous sommes responsables les uns des autres. Dans la lettre aux Romains, St Paul a une phrase extraordinaire: «N’ayez de dettes envers personne, sinon celle de l’amour mutuel. Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la Loi.» (Rm 13, 8)
Il y aura toujours des tensions dans les couples, entre parents et enfants, avec nos amis, nos voisins, nos collègues de travail. Malheureusement, dans certains groupes, dans certaines familles, les ruptures durent pendant des années et parfois ne disparaissent qu’avec la mort de ceux et celles qui les ont entretenues. Certains refusent simplement de se réconcilier. Dans ces situations de conflits, le chrétien ne doit jamais se résigner à la perte de quelqu’un.
Aujourd’hui, Jésus nous propose une façon de faire pour essayer de résoudre les difficultés de communication qui apparaissent entre nous : la correction fraternelle. Dans notre mentalité moderne, cela semble insolite, mais à bien y penser, c’est peut-être la manière la plus efficace de régler les conflits.
Homélie
Dans un ouvrage écrit conjointement par des chercheurs croyants, chrétiens et musulmans, on peut lire que le Nouveau Testament « est digne de l’estime du musulman, car il est une voie qui mène à Dieu et à l’amour du prochain, c’est-à-dire à l’essentiel au regard de l’islam »… Et cela, même si « cette voie est différente de la sienne à maints égards » (1).
Juifs et chrétiens peuvent aussi se retrouver sur la même longueur d’onde, puisqu’ils reconnaissent par Moïse ou par Jésus que le premier et le deuxième commandement sont inséparables. La déclaration de Paul aux Romains le rappelle : « L’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour ».
Mais l’amour de Dieu et du prochain ne peut rester cloîtré dans la zone sereine des principes et des nobles abstractions. Pour exister, il doit naître au monde de la réalité et donc s’incarner. c’est ici que commencent aussitôt les difficultés, les tensions et les oppositions à propos des moyens utilisés, des interprétations choisies, et de l’intervention toujours perverse des intérêts personnels, vices et passions. C’est ainsi que les instruments deviennent des idoles, le secondaire prend rang d’absolu et des formes ou traditions passagères sont déclarées « de toujours ». C’est le règne de la violence, des intégrismes et fanatismes, du légalisme et du pharisaïsme, où Dieu et l’être humain, inséparablement, sont sacrifiés sur l’autel de l’orgueil ou de la bêtise, dont chaque religion a ses temples, ses grands prêtres et sa part de fidèles.
Il est vrai que la pratique de l’amour de Dieu et des autres n’est pas synonyme de facilité ni de tranquillité. Ezéchiel souligne bien la rude et difficile tâche des prophètes qui ont à dénoncer le mal, rappeler les exigences de l’Alliance, indiquer le juste chemin, réconcilier les adversaires, maintenir l’unité et la communion… Et toujours au risque de déplaire, de froisser des susceptibilités et de mettre en péril des intérêts par trop humains.
Ardu et quotidiennement exigeant que d’exercer au sein des communautés chrétiennes, ou de l’Eglise universelle, le devoir de « correction fraternelle » qui relève du souci d’unité et de communion, de la fidélité et du pardon, sans tomber dans la démission du silence, l’orgueil janséniste ou l’arbitraire de l’inquisition.
En passant du singulier au pluriel et de Pierre à tous les disciples, Jésus a confié à son Eglise, et à chacun de ses membres, l’admirable mission et la lourde responsabilité de la réconciliation et de l’unité. Tous ceux et celles qu’il nous arrive d’enchaîner et de paralyser par notre méfiance ou notre orgueil, les éloignant ainsi, et de nous, et de Dieu, nous pouvons aussi les délier par l’amour et la patience, la délicatesse et le respect.
Chaque communauté, si petite soit-elle, a même reçu l’incroyable pouvoir de rendre Jésus présent et agissant. Il « suffit » pour cela d’être ré-unis en son nom et de « se mettre d’accord »… Il faut cependant beaucoup plus que la simple présence physique de deux ou trois personnes. C’est bien l’unité, la communion entre elles, qui est exigée pour refléter et témoigner quelque peu de la vie même de Dieu, où les diversités culminent dans l’harmonie des échanges.
Pour être Eglise, re-présenter le Christ, faire des miracles et révéler Dieu au monde, il faut que ceux et celles qui se rassemblent s’aiment et collaborent, s’éclairent et s’entraident, se corrigent et s’encouragent, cultivant chacun et ensemble « l’exigence permanente du mieux » et le souci prioritaire du royaume de Dieu.
Ces communautés familiales, paroissiales ou religieuses, les réunions pastorales, les rassemblements eucharistiques, tout comme le dialogue entre les époux, ont sans cesse besoin d’une nouvelle évangélisation. Ne sommes-nous pas excessivement en dette de l’amour mutuel, au risque de conduire tout droit à la faillite, plans et projets, et même la construction du royaume de justice et de paix ?
(1) « Ces Ecritures qui nous questionnent : La Bible et le Coran », G.R.I.C., Le Centurion 1987, p 139.